Jeudi 24 octobre – centre de colloques, salle 3.03, de 14h à 17h

Co-organisateurs

Christophe Brion (CeRCLEs, EHESS) & Abdelmounaim Fanidi (CeRCLes, EHESS)

Discutant

Alain Mahé (EHESS, CEMS)

Traditionnellement, l’histoire est associée à l’étude du « passé social » alors que l’anthropologie aurait comme objet l’élucidation du « présent social » (Schapera, 1962). Les situations de conflits ont été l’occasion de remettre en question cette division scientifique du travail, en remobilisant le travail d’archive et l’ethnographie en dehors de leur champ disciplinaire d’origine. En effet, si l’accessibilité au terrain par le chercheur est souvent considérée comme la condition de possibilité de l’enquête ethnographique, des situations de conflits comme la guerre russo-ukrainienne ou encore le conflit israélo-palestinien sont moins favorables à l’observation directe et à l’immersion de l’ethnographe. Ce dernier est alors amené à naviguer dans les archives afin de préparer son terrain en amont ou, à l’inverse, de compléter ses observations à son terme. Néanmoins, cette conception réduit le travail d’archive à un palliatif en cas d’inaccessibilité du terrain. A contrario, l’usage complémentaire du travail d’archive et de l’ethnographie permettrait d’éclairer réciproquement les angles morts de chacune de ces démarches empiriques.

L’usage de l’archive implique une dépendance à des documents caractérisés par différents genres épistémiques, des formes de narrations, des pratiques de production et des stratégies de leurs auteurs (Stoler, 2010). D’autre part, pratiquer l’ethnographie nécessite un engagement à la fois physique et moral de la part d’un chercheur, participant à un système de places qui l’empêche d’avoir une position de surplomb sur l’univers social qu’il enquête (Favret-Saada, 1977).
C’est ainsi que la mise en dialogue de ces deux méthodes contribuerait à la multiplication des focales, des points de vue et des échelles d’analyse qui permet de mettre en exergue un ensemble de processus invisibles ou inexplorés tout en diversifiant les méthodes d’enquête destinées à les élucider (Ermakoff, 2012). Sans se contenter de cela, il s’agit de penser la plus-value de leur articulation en termes de production des données, de mise en intrigue et de profondeur historique.

De surcroît, les situations de conflit sont, en raison de leur incertitude et
leur instabilité, des terrains privilégiés de dialogue entre le travail d’archive et l’ethnographie. Cependant, il s’agit de s’interroger sur les conceptions du conflit qui le réduisent exclusivement à des clivages réifiés en confrontations violentes. Nous invitons également à penser les multiples temporalités des conflictualités en s’intéressant aux diverses modalités de mise en récit et d’interprétations dont fait l’objet les conflits à la fois avant, au cours et suite à son terme. En outre, les situations de post-conflits permettent d’examiner les tenants et les aboutissants des reconfigurations constantes que les conflits entraînent dans la société en termes de déplacements des personnes, de reconstructions d’infrastructures et de politiques de réconciliations nationales ou intercommunautaires. C’est dans le cadre de cette définition large du conflit que cet atelier propose d’accueillir de jeunes chercheurs dont les travaux de recherche sont au croisement entre histoire et ethnographie en situation de conflit ou de post-conflit. L’objectif principal étant de questionner ce que cette mise en dialogue soulève comme défis méthodologiques dans le cadre de la confrontation de données aux statuts divers et hétérogènes, mais également dans leurs modalités de restitution conjointe. Ce souci de méthode vise, d’autre part, par l’articulation des données dans la recherche et l’écriture à contribuer aux réélaborations actuelles autour de la notion de conflit (Deluermoz & Foa, 2022). Les communications dans cet atelier peuvent, entre autres, à partir de matériaux issus des archives ou d’observations ethnographiques relier conjointement la description des conflictualités et/ou leurs enjeux mémoriaux (Sheele, 2009). Une autre possibilité serait de penser la « mise en tension » produite autour d’un conflit par l’utilisation croisée des archives et de l’ethnographie ainsi que leur intégration dans une description rénovée et élargie.

Intervenant·e·s

Julien Gaillard (GRIPIC, Celsa, Sorbonne Université) : Ethnographier la patrimonialisation de la lutte de Notre-Dame-des-Landes

Benedicte Rivet (Centre Max Weber, Université de Lyon) : Tisser les fils des données historiques, militantes et ethnographiques : une enquête en « UNMIKistan »

Somayeh Rostampour (GTM_Cresppa, Paris 8) : Révéler les Silences : Enquêtes Anthropologiques et Historiques dans les Zones Sensibles du Conflit

Bibliographie

Deluermoz, Q., & Foa, J. (2022). Les épreuves de la guerre civile. Paris, France, Éditions de la Sorbonne.

Ermakoff, I. (2012). Police et arrestations. Le Genre humain, 52(1), p. 213‐243.

Favret-Saada, J. (1977). Les mots, la mort, les sorts. Paris, France, Gallimard.

Schapera, I. (1962). Should Anthropologists Be Historians ? The Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, 92(2), p. 143‐156.

Scheele, J. (2009). Village Matters: Knowledge, Politics & Community in Kabylia. Algeria, Woodbridge, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Etats-Unis d’Amérique.

Stoler, A. L. (2010). Along the Archival Grain: Epistemic Anxieties and Colonial Common Sense. Princeton, Princeton University Press.

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