Discutante

Julie Pagis (CNRS, IRIS)

Les années 1980 et 1990 ont vu le développement d’une nouvelle
sociologie de l’enfance (new sociology of childhood), ayant pour principale caractéristique de définir les enfants non comme des « adultes en devenir », objets de socialisation, mais comme des acteur·ice·s « au présent » capables de (re)produire le monde social par leurs interactions (James & Prout, 2015). Cette « sociologie de l’enfance » est cependant parfois critiquée parce qu’elle universaliserait la définition de l’enfance des classes moyennes occidentales et unifierait une « culture enfantine » (Lignier, 2008). Parallèlement, des chercheur·se·s revendiquant une « sociologie des enfants » (Court, 2017) s’intéressent aux processus de différenciation sociale des enfants notamment selon la classe, le genre, et plus rarement la « race ». En pratique, ces deux courants de recherche se sont pourtant largement nourris l’un l’autre sur un plan méthodologique (centralité de l’étude du langage, articulation complexe avec les disciplines « psy », historicisation du « sentiment de l’enfance »). Ce dialogue s’appuie sur l’approche ethnographique qui rassemble ces postures théoriques apparemment opposées. En effet, c’est par l’ethnographie que la capacité d’agir des enfants peut être démontrée en pratique et non simplement postulée normativement (Vinel & Zaltron, 2020) ou que l’on peut observer les processus de socialisation in situ (Pagis & Simon, 2020). Autrement dit, l’ethnographie offre la possibilité, d’un côté, de considérer le point de vue des enfants pris dans différents rapports sociaux, et, d’autre part, d’étudier la socialisation en étant attentif aux rapports de pouvoir intergénérationnels. L’atelier, centré sur la démarche ethnographique, espère créer un espace de dialogue et d’échange de pratiques entre différentes approches portant sur les enfants et l’enfance. Il se veut un espace de réflexion pratique sur l’enquête auprès des enfants, mais aussi dans les institutions qui leurs sont spécifiquement dédiées. 1) Comment l’ethnographie nous permet de penser en même temps processus de socialisation et sociabilités des enfants ? L’ethnographie peut-elle étudier les relations entre enfants sans essentialiser une « culture enfantine » ? À l’inverse, comment reconnaître le cadrage de leurs interactions par la normativité adulte sans tomber dans une approche adultocentrique ? 2) Qu’apporte la description ethnographique des activités des enfants à la compréhension du « couplage flou » (Goffman, 1988) entre structure sociale et interaction ? D’une part, il s’agit de poser la question
de l’observabilité de l’incorporation (Darmon, 2019) et de la replacer
dans des interactions situées. D’autre part, de chercher à comprendre
comment la catégorie d’enfant est produite dans les interactions en
intersection avec les autres rapports sociaux. Comment se constituent des modalités acceptables d’interaction avec les enfants ? D’exercice d’une autorité ? De tissage un lien affectif ? Enfin, comment les enfants eux-mêmes peuvent-ils mettre à mal et modifier les cadres interactionnels avec et entre les adultes ? 3) Qu’apporte l’ethnographie des enfants à l’ethnographie en général ? L’enquête auprès d’enfants comporte des spécificités méthodologiques, déontologiques et épistémologiques (Danic et al, 2006). Qu’il s’agisse de recueillir le consentement des enfants à l’enquête sans se limiter à celui de leurs gatekeepers, de réfléchir au statut du discours des enfants, de s’intégrer dans leurs groupes et leurs jeux (ce qui peut mettre l’enquête à l’épreuve), l’ethnographe doit se poser la question des relations de pouvoir entre l’enquêteur·ice et des enquêté·e·s réputé·e·s vulnérables. Comment renouveler l’approche ethnographique pour répondre à ces enjeux de manière satisfaisante scientifiquement et éthiquement ?

Intervenant·e·s

Arthur Ancelin (CERLIS, Paris Cité) : Injonction participative et adultisme en Maison d’Enfants à Caractère Social : Approche réflexive
et sociolinguistique d’un « échec »

Noa Schumacher (AAU & Pacte, Grenoble-Alpes) : Des formes ordinaires de présence dans l’espace public. Immersions filmiques auprès de jeunes
enfants de Grenoble (France) et de Sfax (Tunisie)

Holly Hargis (PACTE, Grenoble Alpes) : Comment saisir le parler ordinaire : l’enquête ethnographique en famille

Bibliographie

Court, M. (2017). Sociologie des enfants. Paris, La Découverte.

Danic, I., Delalande, J, & Rayou, P. (2006). Enquêter auprès d’enfants et de jeunes : Objets, méthodes et terrains de recherche en sciences sociales. Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

Darmon, M. (2019). Analyser empiriquement un inobservable : Comment ‘attrape-t-on’ une disposition ? In S. Depoilly & S. Kakpo, La Différenciation sociale des enfants Enquêter sur et dans les familles ? Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, p. 109‐137.

Goffman, E. (1988). L’Ordre de l’interaction. In Y. Winkin, Les moments et leurs hommes, Paris, Seuil.

James, A., & Prout, A. (2015). Constructing and Reconstructing Childhood : Contemporary Issues in the Sociological Study of Childhood. Abingdon, Routledge, Taylor & Francis Group.

Lignier, W. (2008). La barrière de l’âge. Conditions de l’observation participante avec des enfants, Genèses, 73(4), p. 20‐36.

Pagis, J. & Simon, A. (2020). Introduction : Du point de vue des enfants. Bulletin of Sociological Methodology/Bulletin de Méthodologie Sociologique, 146(1), p. 7‐15. 

Vinel, V., & Zaltron, F. (2020). Enfants acteurs, enfants agis. Revue des sciences sociales, 63, p. 12-25.